• LES FEMMES ARTISTES.. en 1881

     

    6 mars 1881

    LES FEMMES ARTISTES

     

    Je n'étonnerai personne en disant que les femmes sont exclues de l’Ecole des Beaux-Arts comme elles le sont de presque partout.


    On les admet pourtant à l'Ecole de Médecine, pourquoi pas à l'Ecole des Beaux-Arts ?

    Mystère.

      

    On craint peut-être les esclandres que provoquerait l’élément féminin dans ce milieu de comédies légendaires ? Mais il n'y aurait qu’à faire comme en Russie et en Suède ; séparer les ateliers où l’on travaille d’après le modèle et ne réunir tous les élèves que pour les cours. Aussi n'est-ce pas là la raison.

      

    La raison ? Mais il n’y en a pas ; on n’y a jamais songé et voilà tout.

     

    Ainsi, vous qui vous proclamez bien haut plus forts, plus intelligents, mieux doués que nous, vous accaparez pour vous seuls une des plus belles écoles du monde où tous les encouragements vous sont prodigués.

      


    Quant aux femmes que vous dites frêles, faibles, bornées, dont un grand nombre est privé même de la banale liberté d’aller et de venir par le mot convenances, vous ne leur accordez ni encouragement, ni protection, au contraire.

     

    C'est peu logique. Ne recommençons pas, la comédie des femmes au foyer, n'est-ce pas ?

      

    Toutes les femmes ne se font pas artistes, de même que toutes ne veulent pas être députés.

      

    C’est d’un très petit nombre qu'il s'agit, qui n’enlève rien au fameux foyer; vous le savez fort bien.

      


    Nous avons des écoles de dessin de la ville très suffisantes pour celles qui se destinent à l’industrie mais nulles au point de vue vraiment artistique, ou bien deux ou trois ateliers à la mode où les jeunes filles riches s’amusent à faire de la peinture.

      


    Mais ce qu’il nous faut, c’est la possibilité de travailler comme les hommes, et de pas avoir à exécuter des tours de force pour en arriver à avoir ce que les hommes ont tout simplement.

     

    On nous demande avec une indulgente ironie combien il y a eu de grandes artistes femmes. Eh ! messieurs, il y en a eu et c’est étonnant, vu les difficultés énormes qu’elles rencontrent.


    Parlez donc aux gens comme il faut d’envoyer leurs filles dessiner d’après le nu, sans lequel il n’y a pas d’études possibles. La plupart, qui n’hésitent pas à conduire ces mêmes jeunes filles sur les plages où elles contemplent leurs danseurs en tenue de tritons, pousseront des cris aigus.


    Quant aux femmes trop pauvres pour avoir de ces délicatesses, elles n’ont pas le moyen d’avoir un enseignement que l’Etat leur refuse.

     

    Ainsi, non seulement on entrave les études féminines par des préjugés gothiques, non seulement on les exclut de l’Ecole de l'Etat, mais elles n’ont même pas accès aux cours d’anatomie, de perspective, d’esthétique, etc., et que les hommes peuvent suivre, lors même qu’ils n’appartiennent pas à l’Ecole et travaillent dans quelque atelier privé.

    Mais l’Ecole n’est pas exclusivement réservée aux peintres et aux sculpteurs, et tout en m’attendant à provoquer une douce gaieté, je dirai que des femmes architectes ou graveurs ne seraient pas plus drôles que des femmes médecins ou des hommes couturiers.

      

    Chacun doit avoir la liberté de suivre la carrière qui lui convient.

     

    On commence pourtant en ceci comme en d’autres choses à avoir des idées un peu moins étranges. Témoin les ateliers de peinture de femme du passage des Panoramas.

      


    Il y a une dizaine d’années, un peintre de talent, M. Rodolphe Julian, ouvrait un atelier où les femmes furent admises et reçurent la même instruction que les hommes.

      

    Je ne crois pas que M. Julian regrette les très grandes luttes qu’il a eu à soutenir, car le petit atelier est devenu une véritable Académie libre et compte près de 300 élèves ; deux ateliers de femmes et trois d’hommes.

      

    M. Julian que le gouvernement vient de décorer et que nous félicitons bien sincèrement, n'est pas le seul.

      

    Plusieurs de nos maîtres contemporains l’aident dans ses généreux efforts.

      

      

    En effet, Mrs. T. Robert Fleury, Lefèvre, Boulanger, Bouguereau, Cot, viennent régulièrement donner des conseils aux élèves qui, comme M. Bramtôt, prix de Rome en 1879, et M. Doucet, prix de Rome en 1880, leur font grand honneur.

     

    Je voudrais bien pouvoir en dire autant des femmes, mais elles ne sont pas admises à concourir. Il ne leur est même pas permis de prouver leur incapacité, comme vous voyez.

      


    Heureusement les expositions annuelles sont là et les derniers salons ont démontré que ces femmes si dédaignées sont de vaillantes élèves et portent haut et fort le drapeau de l’Ecole libre qui leur a ouvert ses portes.

     

     

     

     

     

     

     

     

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